La longue marche (une fugue) 2021
Galerie Les Drapiers, Liège, BE
À rebours de l’art défiscalisé (laideur, absence de technique, discours pseudo-transgressif) dont il ne coche aucune case, Müller s’inscrit dans une continuité historique tout en s’affranchissant des équations datées. Sa longue marche c’est celle de l’espèce humaine, ses processions, ses retraites, ses conquêtes, ses transhumances et deux enfants qui regardent passer le cortège. Celle de Mao était d’abord une défaite, transformée par la suite en victoire, souhaitons qu’il s’agisse là d’une prémonition. « La tradition est une statue qui marche » (Jean Cocteau). La longue marche de Jean Pierre Muller est une statue qui danse.
Bertrand Burgalat lire le texte intégral >>
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L’ensemble, transfiguré par la maîtrise des éléments constitutionnels du travail, apparaît volontairement déterminé par une forme de beauté. Ainsi s’affirme l’humanité tout entière comme un liant. Celle d’une marche dont l’objectif serait probablement une rencontre. Celle-ci ne nierait aucun pan de nos histoires, nos drames et nos chances et concourrait à tisser un tableau dense, aux strates variées et surprenantes, à la profondeur sans cesse porteuse de surprises et de nouvelles imbrications.
Car c’est aussi cela que pointe le travail : une forme de concentration à veiller à la mémoire du monde dans tout ce qu’elle a de délicat, de précieux mais aussi de violent, d’horrible. Le tour de force réside donc à nous donner autant de plaisir à le contempler qu’à nous questionner sur ces histoires. (…)
C’est probablement l’un des rôles de l’artiste de nous mettre face à ce qui longtemps nous a fait pudiquement détourner la tête.
Christophe Veys lire le texte intégral >>
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Jean Pierre Müller utilise aujourd’hui le voile, matériau léger, parfois presque transparent, qui lui permet d’évoquer la transformation, l’écoulement du temps, l’éveil des consciences, le sens de l’histoire, mais sans tout écraser. Il nous permet ainsi d’apprécier la force et - osons le mot - la beauté des figures qu’il convoque et entremêle.
Philippe Crismer lire le texte intégral >>
L'ÉCHAPPÉE BELLE
L’exposition aux Drapiers s’inscrit dans la continuité – en développement, en mutation – d’un body of work, d’un corpus, né d’abord au sein du projet 7×7 : 7x7art.com
7×7 est une collaboration protéiforme avec sept des musiciens que je considère comme les plus influents, pour le monde comme pour mon histoire propre. S’ouvrant tant à des déploiements muséaux monumentaux (comme la création d’une 7x7th Street au Summerhall d’Edimbourg), à des installations globales, façon Gesamtkunstwerk (la création d’un « nouvel Alhambra » à WhiteBox New York), à des spectacles scénographiés (comme les « Indigo Nights » avec Nile Rodgers »), 7×7 est une grammaire permettant d’infinies explorations.
De ce projet fondamentalement collaboratif est née subrepticement « La longue marche », qui, tout en reprenant des éléments de la grammaire 7×7, m’a permis de confronter mes obsessions quant à la longue marche de l’humanité, et la présence constante, pertinente, insistante, de l’Histoire, et des histoires, dans le monde d’aujourd’hui.
Le prélude à cette « Longue Marche » a été dévoilé en 2018 à Londres (FiveYears). C’est à travers ce projet que le matériau textile a commencé à occuper une place centrale dans mon expression artistique. Mon travail a toujours fait écho aux complexités du monde et de ses multiples vérités, en s’écrivant en couches multiples, tantôt nettes, tantôt brouillées. Le textile, matériau souple et riche d’histoire, avec ses infinies possibilités de modulation des transparences, opacités, profondeurs et nuances, devait fatalement s’imposer un jour à moi.
Les questions et perspectives offertes par le voilement et le dévoilement, les chocs sémantiques et poétiques offerts par la combinaison et la rencontre d’images par superposition, voilà qui m’a rendu cruciale la rencontre du matériau textile et de ma longue pratique de la sérigraphie. Un vaste champ de possibles parfaitement illustré par RE/STORE, l’installation permanente dans la grande rotonde de l’AfricaMuseum de Tervuren réalisée en collaboration avec l’artiste congolais Aimé Mpane. La superposition de voiles semi-transparents, porteurs d’une « image-écho » contradictoire, aux seize immenses statues coloniales et racistes de la rotonde centrale du musée, permet au choc sémantique évoqué d’opérer – et laisse au spectateur autant de possibilités de dévoilements. Plutôt que d’effacer la mémoire en détruisant des monuments controversés, nous avons voulu la charger d’une couche souple, complexe, ouverte au dialogue – et à des ajouts postérieurs.
« Prélude, fugue et variation » est une composition merveilleuse de César Franck – grand Liégeois devant l’éternel. Il y reprend les trois formes fondamentales mises en place par Johann Sebastian Bach. Si « The Long March (A Prelude) », présentée en 2018 à Londres, a constitué l’introduction du récit de marches et migrations superposées, « La longue marche (une fugue) », qui se répand dans les Drapiers en ce début 2021, nous plonge au cœur d’un récit qui est aussi celui d’une fuite éperdue (la fugue en question) – tragique fuite en avant, peut-être, mais aussi bienvenue évasion. Le lieu, par sa magie, permet un déploiement qui devient lui-même une longue marche, une échappée belle… d’autant qu’il s’agit donc ici de ma première exposition solo en Belgique depuis neuf ans.
Jean Pierre Müller
À chaque aube je meurs (Each Dawn I Die), 2020
Voiles sérigraphiés sur structure en bois
330 x 175 x 50 cm